texte de Bernard Montaclair

Au commencement était la trace.

Un simple trait , esquisse dĂ©licate, gribouillage qui s’excuse mais qui tĂ©moigne d’un impĂ©rieux dĂ©sir : Prendre sa place de parole, raconter une histoire , dĂ©cliner des images et des mots .

Parfois, le bout de crayon semble s’ĂȘtre attardĂ© sur le coin d’une nappe de restaurant , ou la marge d’un cahier de brouillon , pour tromper , comme nous le faisons tous, la colĂšre ou l’ennui.

Mais ne nous abusons pas sur ce que ce trait peut avoir, parfois, d’enfantin

Tout est pensĂ© , recherchĂ©, Ă©laborĂ© dans ce travail, avec une sorte d’acharnement tĂȘtu.

Des membres graciles, des jambes de petites sirĂšnes, des tĂȘtes qui s’inclinent sur leur souffrance, leur rĂ©signations, leur quĂȘte de rĂ©confort.

Et les esquisses se succĂšdent, insistent et se dĂ©doublent. Les personnages s’animent comme sur ces petits blocs de dessins animĂ©s : on les feuillette et une scĂšne fugitive prend vie quelques instants
 Parfois un visage surgit d’un miroir , ou d’un souvenir estompĂ©. Comme une photo jaunie qu’on retrouve au fond d’un tiroir, nous fournit , Ă  dĂ©faut de son secret, un grand pan de trouble et de rĂȘve. C’est l’envers du polaroid , le nĂ©gatif, les « ombres d’un rĂȘve », comme l’a dit Proust des jeunes filles de Nerval, qui deviennent le plus lumineux.

Et puis, ces traces insistantes et dĂ©rangeantes se mettent Ă  raconter une histoire . Une route, un chemin, des couloirs , un dĂ©sert. Ca se dĂ©roule et ça dĂ©route. Ca dĂ©ambule, ça dĂ©range, ça dĂ©balle, ça dĂ©mĂ©nage
.

L’histoire n’est pas un message clair et claironnĂ©, comme une bonne farce dĂ©clinĂ©e dans une page de BD, avec , Ă  la derniĂšre page de la sĂ©rie, la chute oĂč l’on se tord de rire .

Non, rien n’est prĂ©expliquĂ© au lecteur. Pas de discours dissuasif, persuasif ou revendicatif, pas de fable non plus pour partager une rĂ©volte, une indignation . Et rien de l’épopĂ©e hableuse , ni de l’arcane du jeu vidĂ©o.

C’est un rĂ©cit intĂ©rieur qui, comme tout les discours intĂ©rieurs, n’ont souvent ni queue ni tĂȘte, ni dĂ©but ni fin, et que chacun peut construire pour lui. Il y a quelque chose de Proustien dans le rapport Ă  la temporalitĂ©, et aussi dans ces clairs obscurs , ces contours repentis, qui laissent Ă  celui qui regarde assez d’incertitude et de trouble pour qu’il puisse y glisser sa propre Ă©motion.

Car si ça raconte, jamais Fanny ne se raconte.

SuprĂȘme subtilitĂ© que cette dĂ©marche de l’artiste qui n’impose pas sa subjectivitĂ©, mais manifeste un immense respect pour celle de qui regarde.

(
) Pourquoi ne pas prononcer le mot de poĂ©sie ?

Cette alchimie mystĂ©rieuse par laquelle Ă  travers des mots, des traits et des sons, quelque chose de l’humain entre en rĂ©sonance avec l’humain ; les objets dĂ©crits , les personnages mĂȘme, n’étant, comme au théùtre, que le support de projection de nos propres affects, souvent inconscients


Bernard Montaclair

Mars 95

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